En retrait du monde by Andréas Saada

En retrait du monde by Andréas Saada

Auteur:Andréas Saada
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Pygmalion
Publié: 2018-06-15T00:00:00+00:00


En retrait

Je vis la nuit et dors le jour. Je ne sors plus du tout. S’il ne tenait qu’à moi, je pourrais bien demeurer entre les quatre murs de ma chambre le reste de ma vie. Pour me reconstituer. Comme une terre en jachère. Je me sens vidé, si épuisé de lutter contre moi-même. Alors, en ce début d’année, à vingt-sept ans, j’ai claqué la porte au nez à ce qu’il me restait de vie sociale, de la vie normée d’un type de mon âge, supposé soucieux de son avenir, supposé travailler à le bâtir, supposé élaborer des rêves d’évasion du gîte familial ou, dans mon cas précis, du giron maternel. Lors de ma période d’activité dans les grands magasins, j’ai été épanoui. Il y avait un rythme, des habitudes et surtout de nouveaux potes. La perspective de les retrouver me faisait me lever pour m’y rendre. Durant le trajet, lorsque je songeais à ma vie, je ne concevais pas de me rendre tous les jours à un boulot, tous les jours qu’il pleuve, neige ou vente, tous les matins, durant des semaines, des mois, des années entières ! Paradoxalement, je souhaite m’accomplir dans quelque projet mirifique, créer ma marque, devenir un entrepreneur accompli, dans la joaillerie par exemple. Mon besoin de manquer au monde n’est pas toujours impérieux. Il y a juste un équilibre à trouver. Je reste un animal social. Mon besoin viscéral de m’entendre avec mes collègues afin que je me sente intégré en témoigne. Être accepté fait partie de ma quête. Pour cela, je me prête volontiers au jeu de la comédie humaine : sur les bancs de l’école primaire, je jouais le trublion dépassant ma timidité naturelle, je continue dans ma vie de jeune adulte. Mon besoin de plaire est impossible à combler. Lorsque je sors, je mets un temps infini à ajuster ma tenue, à vérifier la juste adéquation entre le haut et le bas, la météo et mon choix de vêtement. Je scrute mon visage dans la glace. Je vérifie, je suppute les réflexions désobligeantes que ma face négligée ne pourrait manquer de susciter. Je m’habille en conséquence. Une fois dans la rue après cet examen scrupuleux de moi-même, je me sens mieux dans ma peau, je respire. Je me sens toujours scruté et évalué. Je crains le jugement négatif même d’inconnus. C’est absurde. Je sais bien que c’est sans conséquence, que je ne mourrai pas d’une critique malveillante, mais je suis une sorte de dandy parano aux désirs contradictoires, qui se sent sans cesse évalué et qui ne s’aime qu’à travers le regard d’autrui. Paradoxe toujours, alors que je crains le regard des autres, je me pique d’originalité, j’aime me faire remarquer, cultiver un style propre, bouder la tendance du moment, comme être sur Samsung quand tout le monde est sur Apple.

C’est contre une injonction précise que je m’érige : faire des efforts, encore, toujours. Tout est question d’efforts. Lorsqu’on est un jeune adulte, il faut se trouver un but dans sa vie, il faut réussir, se poser avec femme et enfants, cultiver une vie mondaine.



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